Par Annie Tremblay et Catherine Sabourin – 1er décembre 2024
L’expérience de l’équipe d’oncologie psychosociale et spirituelle du CHU de Québec-Université Laval illustre l’importance d’aborder la dimension spirituelle dans le parcours des patients atteints de cancer. En tant qu’élément clé pour gérer la détresse émotionnelle et existentielle, la spiritualité, bien qu’essentielle, est souvent difficile à cerner. Cet article montre comment cette dimension peut apporter soutien et sens aux patients tout au long de la maladie.
La détresse est répandue chez les patients atteints de cancer à tous les stades de la maladie et a été approuvée comme le 6e signe vital dans les soins contre le cancer. Divers outils pour son dépistage ont été préconisés à travers le monde : au Canada, il est recommandé de notamment travailler avec la « Canadian Problem checklist » où les personnes dépistées ont l’opportunité de signaler leurs besoins spirituels. En effet, le National Comprehensive Cancer Network Distress Thermometer and Problem Checklist, développé pour être utilisé par les centres de cancérologie, inclut les « préoccupations spirituelles/religieuses » dans la liste des problèmes (Bultz, 2011). De nombreuses études évaluent qu’environ 35 % des personnes recevant un diagnostic de cancer développeront une détresse significative. La recherche sur la spiritualité et la lutte spirituelle a mis en évidence l’importance de la spiritualité en tant qu’élément clé de la qualité de vie, de la détresse et qui doit être mieux compris et abordé durant l’expérience de la maladie.
La spiritualité reste difficile à définir et à mesurer avec précision. Toutefois, il est généralement admis qu’elle se réfère à une connexion avec une réalité plus large qui donne un sens à la vie d’une personne, vécue à travers une tradition religieuse ou de plus en plus laïque dans la culture occidentale, à travers la réflexion existentielle, la méditation, la nature ou l’art (Boston, 2011). Son articulation avec les dimensions psychologiques et sociales de l’expérience de la maladie demeure complexe à comprendre dans leur interaction, puisque souvent co-existantes. Une littérature croissante explore le rôle de la spiritualité et de la religion en oncologie (Gudenkauf, 2019). Compte tenu de son impact significatif comme facteur protecteur et source de détresse pour les patients tout au long de la trajectoire du cancer, nous partagerons ici brièvement l’expérience de l’équipe d’oncologie psychosociale et spirituelle du CHU de Québec en lien avec ses indicateurs de dépistage de la détresse spirituelle, de son évaluation et des services ensuite offerts pour y répondre.
L’équipe d’oncologie psychosociale et spirituelle du CHU de Québec-Université Laval
Depuis le début des années 2000, notre établissement s’est doté dans son programme d’oncologie, d’objectifs visant l’organisation d’une offre de services interprofessionnels adressant la réponse aux besoins psychosociaux et spirituels de la personne atteinte de cancer, dans toutes ses phases de la maladie. Cette initiative a été soutenue au fil des années par plusieurs publications de la Direction générale de cancérologie du MSSS québécois, s’inscrivant dans la foulée des multiples guides de pratique ciblant le dépistage de la détresse et des besoins s’y rattachant à travers le monde. L’intégration aux trajectoires de soins du processus de dépistage de la détresse en oncologie s’est ajoutée à cette initiative pour faciliter l’orientation rapide du bon besoin, au bon moment vers le bon intervenant.
L’équipe se compose maintenant de plusieurs dizaines d’intervenants de champs multiples : sciences infirmières, service social, psychologie, psychiatrie, ergothérapie ciblant la santé mentale, kinésiologie, sexologie et soins spirituels. Ces derniers sont présents et reconnus comme professionnels en intervention spirituelle depuis les débuts de notre équipe. Ils ont favorisé, au sein de notre équipe et des intervenants en oncologie, le développement d’un intérêt, d’une ouverture et d’une compétence pour entendre, reconnaître et faciliter les interventions pouvant améliorer la détresse spirituelle.
Chaque année, plus de 2000 demandes d’évaluation ou d’intervention sont transmises au guichet d’oncologie psychosociale et spirituelle du CHU de Québec, et ce nombre croit chaque année. Un peu plus de 10 % des requêtes seront orientées en soins spirituels, à la suite d’un échange téléphonique entre l’infirmière clinicienne attitrée au triage des références acheminées, la personne atteinte et son référent.
Au-delà des interventions individuelles, les intervenants en soins spirituels ont aussi développé des interventions spécifiques de groupe. Ces dernières adressent notamment une recherche de sens, un élément clé de la détresse spirituelle, à travers l’expérience de la maladie ainsi qu’une recherche de paix et d’apaisement par la méditation de type pleine conscience. L’expérience de groupe peut favoriser la reconnexion avec son entourage, sa communauté ou permettre un partage d’expériences entre les participants.
Des discussions interdisciplinaires formelles permettent également d’échanger sur certaines situations où la compréhension de la détresse de la personne est plus complexe ou difficile, et où le dialogue autour de la notion de spiritualité deviendra avec elle une porte d’entrée, une amorce perçue moins menaçante ou critique que les services psychosociaux et psychiatriques. La spiritualité s’exprime à travers des croyances, des valeurs, des traditions et des pratiques qui permettent d’apprécier et reconnaître la personne à part entière, au-delà des symptômes divers, du diagnostic, des limitations et des autres aspects de la détresse. Cette approche, reconnue centrale depuis plus longtemps par les soins palliatifs de fin de vie a aussi sa place aux autres étapes de la maladie.
La dimension spirituelle est donc dynamique et comprise comme une porte d’entrée sur le sens et le but que l’on donne à sa vie et qui ouvre souvent à la transcendance, en plus de faciliter l’expérience d’une relation avec soi-même, les autres, la communauté, la société, la nature et le significatif ou sacré (Puchalski, 2014). Même en période de choc suivant un diagnostic, d’attente d’investigation ou de traitement, les personnes reconnaîtront aisément leur bouleversement face à l’épreuve, mais demeureront fréquemment plus réticentes à y associer les symptômes psychologiques ou les difficultés avec leur entourage.
Particulièrement dans ce type de situation, les soins spirituels permettront un accès rapide à du réconfort et à de l’écoute qui favoriseront le dialogue avec l’équipe soignante, le processus d’adaptation et contribueront à stimuler la résilience de l’individu. Les intervenants en soins spirituels n’effectuent pas de « diagnostic » spirituel, mais partageront plutôt avec la personne et l’équipe une compréhension de l’expérience humaine présente et des repères pour mieux l’accompagner. L’infirmière clinicienne est, au sein de notre équipe, une intervenante clé quant à l’amorce de ce dialogue et de la proposition d’une intervention spirituelle.
« C’est quoi ça, et pourquoi les soins spirituels ? »
Ces questions, nous les entendons régulièrement. Celle adressant la notion de spiritualité chez les personnes malades et celle adressant leur pertinence de la part des divers intervenants en oncologie. Comme il existe un flou dans la définition de la spiritualité, il est donc parfois difficile de bien faire comprendre ce service auprès des patients et des intervenants. La spiritualité et la religion ont souvent besoin d’être différenciées auprès des personnes malades. L’accompagnement spirituel respecte ces deux dimensions dans leur coexistence ou absence et s’adapte à chaque individu. L’intervenant en soins spirituels crée un espace où la personne peut se déposer, s’exprimer sans jugement. Il accompagnera la personne dans sa quête de sens, sa recherche de paix intérieure, de connexion/reconnexion avec soi, avec l’autre ou dans sa transcendance à plus grand que soi.
Une série d’indicateurs ont été développés par les intervenants en soins spirituels avec notre équipe. Pour les référents, comme pour les référés, ceux-ci proposent des mots plus précis, facilitant le dialogue et la reconnaissance des dimensions spirituelles dans le propos de la personne atteinte. Cette familiarisation croissante aide à nommer plus directement les enjeux spirituels, comme rencontrés fréquemment avec les intervenants de notre équipe où les autres interventions comportementales, occupationnelles, informationnelles, familiales, conjugales, d’activités physiques, psychothérapeutiques et psychopharmacologiques adresseront plus difficilement ou partiellement la souffrance spirituelle.
Lors du processus de triage d’une demande, l’infirmière clinicienne portera une attention particulière à ces indicateurs et aux mots choisis par la personne pouvant se référer aux questions de sens : « pourquoi moi ? Pourquoi ça ? », aux préoccupations face aux buts de la vie : « pour vivre quoi et comment ? », au désespoir : « je peux espérer quoi ? » ; aux enjeux avec la fin de vie et la mort : « j’ai peur de mourir », « je ne veux pas mourir », en plus d’adresser le désir de préparer un rituel adapté à la situation et aux croyances de l’individu. Il y a souvent plusieurs besoins, donc plusieurs angles d’approche possibles pour la détresse. L’infirmière tiendra compte des mots choisis, des croyances évoquées et des intérêts du patient pour effectuer avec celui-ci un choix d’orientation vers un premier service professionnel. Si le patient présente une ouverture tout en demeurant hésitant à l’égard des soins spirituels, on l’encouragera à faire une première rencontre d’exploration tout en planifiant d’autres services à la suite lorsque requis. Il arrive alors parfois d’annuler les demandes vers le professionnel suivant, puisque la rencontre aura répondu aux besoins et attentes. La situation particulière du syndrome de démoralisation en est un exemple que nous aborderons brièvement ici.
Une situation particulière : la démoralisation
On définit la démoralisation comme une combinaison de désespoir, d’un sentiment d’inutilité et de perte de sens de façon générale. Elle peut se rencontrer seule ou en association avec des conditions psychiatriques telles que la dépression ou le trouble de l’adaptation. Chez les patients atteints de cancer, ce syndrome présenterait une prévalence de 24 à 36 % dans les études menées entre les années 2014 et 2020, à travers le monde. Selon la littérature, la démoralisation est associée à une anxiété de mort plus élevée, à une plus grande détresse existentielle, une aggravation du bien-être psychologique, à la dépression, aux idées suicidaires et à la diminution de la qualité de vie.
Le bien-être spirituel est un facteur de protection contre la démoralisation, tandis que les besoins spirituels non satisfaits sont liés à une démoralisation accrue chez les personnes atteintes de cancer (Garcia ACM et al., 2023).
Ainsi, alors que la démoralisation implique une souffrance découlant, entre autres, de l’absence de sens et de but, l’intervention spirituelle peut être une stratégie pour (re) trouver sens et but dans la vie et dans l’expérience de la maladie. Une intervention spirituelle adressant spécifiquement ces dimensions complètera bien les autres interventions offertes par d’autres professionnels psychosociaux, il s’agit là d’un motif de collaboration interprofessionnel fréquent au sein de notre équipe.
Il n’existe pas encore de consensus clair sur la manière de prendre en compte les dimensions religieuses, existentielles et spirituelles des personnes atteintes de cancer. L’intégration de la dimension spirituelle au dépistage de la détresse en représente seulement le premier jalon. Ce dernier est une très belle opportunité d’initier de façon ouverte et avec curiosité le dialogue autour de la spiritualité avec les personnes atteintes et entre intervenants, parce que la spiritualité fait partie intégrante de l’expérience humaine globale, même si nous ne possédons pas comme intervenant ou patient les mots pour la nommer, la reconnaître et y demeurer connecter.
Notre expérience comme équipe souligne l’importance de la formation sur les soins spirituels chez les professionnels en oncologie pour en favoriser l’utilisation et la reconnaissance du besoin lors de la rencontre des différents professionnels. La plupart des infirmières et des médecins en oncologie ne reçoivent toujours pas de formation préalable à cette notion. Les quelques données partagées dans ce texte et notre expérience démontrent que ce service est encore trop méconnu et qu’au-delà d’en connaître la présence, une familiarisation avec la notion de spiritualité et le rôle des intervenants spirituels permet d’en apprécier le caractère essentiel dans la prise en charge globale des personnes atteintes de cancer et de répondre à ce besoin qui est souvent présent. Les soins spirituels font partie intégrante du travail d’équipe interdisciplinaire en oncologie psychosociale et leur apport est considérable.
Références
Boston P, Bruce A, Schreiber R. «Existential suffering in the palliative care setting: an integrated literature review». J Pain Symptom Manage. 2011; 41:604-618.
Bultz BD, Groff SL, Fitch M, Blais MC, Howes J, Levy K, Mayer C. «Implementing screening for distress, the 6th vital sign: a Canadian strategy for changing practice». Psycho-oncology. 2011 May; 20 (5):463-9.
Garcia ACM, Schneiders M, da Mota KS, da Conceição VM, Kissane DW. «Demoralization and spirituality in oncology: an integrative systematic review». Support
Care Cancer. 2023 Apr 13;31 (5):259.
Gudenkauf LM, Clark MM, Novotny PJ, Piderman KM, Ehlers SL, Patten CA, Nes LS, Ruddy KJ, Sloan JA, Yang P. «Spirituality and Emotional Distress Among Lung
Cancer Survivors». Clinical Lung Cancer. 2019 Nov; 20 (6) : e661-e666.
Puchalski CM, Vitillo R, Hull SK, Reller N. «Improving the spiritual dimension of whole person care: reaching national and international consensus». J Palliat Med. 2014 Jun; 17(6):642-56. doi: 10.1089/jpm.2014.9427. Epub 2014 May 19.
Annie Tremblay est médecin-psychiatre spécialisée en psycho-oncologie et exerce à Québec depuis 2001. Elle est cogestionnaire de l’équipe d’oncologie psychosociale et spirituelle du CHU de Québec-Université Laval depuis 2006. Elle est professeure de clinique à l’Université Laval.
Catherine Sabourin est infirmière clinicienne en psycho-oncologie. Elle travaille au sein de l’équipe d’oncologie psychosociale et spirituelle du CHU de Québec-Université Laval depuis 2018 où elle a contribué à l’organisation de l’actuel guichet et du processus de triage des références en oncologie psychosociale et spirituelle dont elle assure aussi les activités.